Une fois n’est pas coutume. Nous vous proposons une nouvelle interview d’un épéiste. Petite particularité, il s’agit d’un français qui tire actuellement sous les couleurs du Mali.
Surnommé le « petit gaucher » ( il est le plus petit à chaque compétition ), il est actuellement pensionnaire du club de Beauvais avec notamment Clément Dorigo et Luigi Midelton, récent champion du Monde.
Photos : Facebook
Faisons donc la connaissance de Keletigui Julien Diabaté, 22 ans ou plus simplement « Kele ».
Très honnêtement et humblement, il s’est prêté à cet exercice.
Nous en profiterons également pour présenter son projet de vidéo. Jusqu’aux prochains JO d’été, en 2020 à Tokyo, il filme son quotidien, sa préparation. Une belle façon de valoriser le courage et le travail nécessaires à un sportif de haut niveau. Drôles, bien réalisées, ces vidéos valent le détour.
Ne surtout pas se fier à la photo, il est vraiment drôle et enjoué 🙂
Comment faut-il t’appeler : Julien ou Keletigui ?
Vous pouvez m’appeler comme vous voulez tant que je sais qu’il s’agit de moi. A l’école primaire j’ai utilisé Julien pendant un moment car Keletigui provoquait trop de moqueries, mais je pense qu’on a tous eu un moment où on aurait voulu changer de nom, je l’ai juste fait ahah ! Mais de façon courante, tout le monde m’appelle Kele. C’est plus simple et court, et sonne moins formel que mon prénom complet
Peux-tu nous présenter ton parcours en escrime et nous expliquer pourquoi avoir commencer l’escrime ?
J’ai commencé l’escrime à 6 ans, à l’école primaire. Nous avions des activités à Paris après l’école nommés les ateliers bleus, et j’ai commencé par faire du Judo. Je pensais que j’apprendrais à me battre comme dans Dragon Ball Z, ce qui n’a pas été le cas : pendant deux-trois mois on faisait juste des prises à genoux, ce qui s’est rapidement avéré très ennuyant. J’ai demandé à ma mère d’arrêter, et elle m’a alors dis que si je voulais arrêter, je devais aller voir le directeur moi-même et lui demander (J’avais alors 6 ans). Le lendemain je suis allé voir le directeur de mon école située dans le 18ème arrondissement de Paris, et lui ai dis que je voulais arrêter le Judo. Il m’a alors répondu que ce serait dommage que j’arrête tout bonnement de faire du sport, et m’a alors proposé d’essayer l’escrime, un sport dont je ne connaissais pas l’existence, mais où on s’affrontait avec des épées. Ca avait l’air intéressant, et le directeur a également ajouté que si je n’aimais pas, je pourrais toujours arrêter plus tard. Ce qui n’a pas manqué. Deux mois plus tard, je suis retourné voir ma mère pour lui dire que je n’aimais pas l’escrime et que je voulais arrêter. Elle m’a tout simplement dit non, et j’ai continué.
Je suis aujourd’hui 85ème mondial et ai voyagé dans plus de pays que je l’aurais probablement fait si ce n’était pas pour ce sport.
Pourquoi avoir choisi de représenter le Mali ?
Il y a plusieurs raisons qui ont motivé ce choix.
Tout d’abord, l’escrime est un univers très compétitif : les places en coupe du monde coûtent chères (12 places, pour 300/400 athlètes en circuit nationaux). Elles sont encore moins nombreuses pour les championnats d’Europe et du Monde (4 sélectionnés ).
En Junior, c’est très facilement gérable mais en Senior cela devient plus compliqué. Yannick Borel, Daniel Jérent, Gustin Ronan occupent des places depuis plusieurs années, et partir en coupe du monde demande un gros niveau de performance régulier que je n’ai pas encore réussi à atteindre. Je n’ai pas ce souci de sélection avec le Mali, mais je dois payer toutes mes Coupes du Monde tout seul.
De plus, c’est le pays de mon père.
J’avais tout simplement envie de pouvoir représenter le pays de mon père, et trouvais également que ça collait bien avec mon parcours. Personne n’attend un escrimeur du Mali sur la piste, réussir sous les couleurs du drapeau Malien aurait une symbolique forte pour le continent africain dans une discipline habituellement dominée par des pays du Nord. J’aime casser les codes.
Enfin, il y a mon contexte global.
Je vis seul depuis l’âge de 16 ans, ce qui me demande de prendre en charge moi-même toutes mes dépenses. Avoir un encadrement rigoureux autour de l’escrime est un avantage certain, mais cela m’empêcherait de pouvoir travailler en plus de mes études de la façon que je le fais aujourd’hui (35 à 50 heures de travail par semaine) de façon à pouvoir payer mes compétitions à l’étranger. L’escrime a toujours été pour moi avant tout une passion, et quelque chose que j’aime faire, mais tant qu’à le faire, autant bien le faire. J’ai la possibilité de tenter d’atteindre le top niveau grâce à ma double nationalité, et je compte l’utiliser.
Quel est ton mantra dans la vie ou dans l’escrime ?
C’est assez simple : Être heureux. Je pense qu’en France, et de façon plus générale, dans le monde, on a tendance à beaucoup rejeter la faute sur autrui, et se trouver des raisons de ne pas faire des choses qui pourrait nous rendre heureux, notamment par rapport au regard des autres. Le plus important pour moi est d’être content de ce que je fais, et de continuer à me pousser jour après jour pour devenir la meilleure version de moi-même. Cela passe par s’amuser, sur la piste, mais aussi au quotidien, et ne pas faire ce que je ne veux pas faire, aussi étrange mais simpliste que cela puisse paraître, je veux créer mes règles et décidé de ce que je fais jour après jour.
Comment se passent tes entrainements ?
Cela dépend d’où je me situe.
Je me suis entrainé 3 ans au Pôle France de Reims quand je n’avais pas encore changé de pays, mais me suis déplacé à Bordeaux en Septembre 2016 pour changer de cadre. Je m’entraine actuellement avec le club d’Ornon à raison de deux fois par semaine. Je travaille à vélo tous les jours, donc cela contribue à ma préparation physique générale, je m’étire chaque jour pour devenir plus souple, et fais du gainage quand je peux. Je songe actuellement à remonter en région parisienne un jour par semaine pour parfaire ma préparation.
Tu as la double nationalité, quel est ton état d’esprit lorsque tu rencontres un Français ?
Ca ne me change pas grand-chose de rencontrer un français ou un autre étranger en réalité. L’escrime étant un sport individuel, malgré une camaraderie qui peut se former à l’entrainement ou lors des compétitions, un match est un match et le meilleur l’emportera. Je classe les gens plus en tant qu’individu qu’en tant que nation, bien que certains style de jeu tendent à se ressembler au sein d’un même pays (les Coréens avec un jeu très explosif par exemple).
Peux-tu nous présenter ton projet vidéo?
J’ai débuté en Février une chaine Youtube nommée « Road To Olympics » qui est la documentation de mon parcours jusqu’aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Mon but est de montrer la vie d’un athlète sans artifice, telle que je la vis, avec, si possible une qualification aux Jeux en 2020. Je veux partager mon projet avec un maximum de personnes pour sensibiliser notamment à l’escrime et la vie d’un athlète de façon plus générale, car c’est une facette qui est assez étrangère à toutes les personnes ne pratiquant pas de sport (Ou ne regardant de l’escrime que lors des Jeux Olympiques).
Je veux montrer mes difficultés, mes douleurs, mes hauts, mes bas, et montrer que « Vos limites d’aujourd’hui, sont faites pour être dépassées demain » – Ce qui est le crédo de ma chaîne. La vie de tous les athlètes n’est pas celle d’un joueur de football
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